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LA RENAISSANCE DES CAMPAGNES

24 mars 2021
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Selon un sondage du site “Paris je te quitte”réalisé en janvier 2021, 82% des Franciliens envisageant de quitter la capitale ont prévu de sauter le pas en 2021. La pandémie a mis fin à leurs hésitations.

Parce qu’après tout, la campagne, pourquoi pas ? Dans son livre La Renaissance des campagnes, le journaliste Vincent Grimault détaille les atouts et les spécificités des territoires ruraux.

 

Entretien mené par Charlotte Bouvier à paraître dans le prochain numéro de So good.

 

Dans votre livre, vous soutenez une vision optimiste des territoires ruraux en France. Surtout, vous insistez sur la complexité de ces territoires, d’où des problèmes de définition. Laquelle retenez-vous?

Depuis la parution de mon livre, l’INSEE aactualisé sa définition et considère les territoires ruraux non plus par défaut–la campagne, c’est ce qui n’est pas la ville–, mais les définit en fonction dela densité de population. Mais cela ne dit toujours rien de leur complexité. Lasituation est tellement hétérogène qu’on peut se demander si cela a toujours unsens de parler de “campagne”.

Quels sont les atouts de ces territoires face aux métropoles?

Je me permets de reformuler: ce n’est pas face aux métropoles, mais au contraire, la renaissance se fait avec les villes. Le contexte macro-régional est essentiel. Surtout, on n’a jamais“abandonné” les campagnes, n’en déplaisent à ceux qui tiennent un discours décliniste, grâce à un système de protection sociale très fort. Les inégalités de revenus se sont réduites entre régions, et on observe un enrichissement des populations plus rapide dans les départements ruraux qu’ailleurs. Évidemment, des territoires ne vont pas bien. Mais les campagnes ont de nombreux atouts.

Lesquels?

D’abord, le renversement démographique: l’exode rural qu’on a connu de 1850 à 1975 est terminé, sauf pour de rares exceptions. Ensuite, les campagnes ont plutôt bien résisté à la crise agricole et à la mondialisation. Oui, les métropoles ont concentré un peu plus d’emplois ces dernières années, mais ce n’est pas du tout un raz-de-marée, comme on l’a beaucoup entendu. Et la part des emplois productifs, ceux qui produisent des biens envoyés ensuite ailleurs, est quasiment la même dans les métropoles qu’en dehors. Autrement dit, les territoires non métropolitains sont tout autant en capacité d’exporter leur production que les métropoles. Donc les campagnes ont déjà de quoi se défendre.

Vincent Grimault, auteur de La Renaissance des campagnes

Ces territoires ont aussi des difficultés, comme le recul important des services publics…

Mais on oublie de dire que les services publics ont aussi reculé en ville. Bien sûr, ils semblent avoir plus reculé en campagne, mais tout n’est pas catastrophique. Prenez l’école: vous avez 15 enfants par classe en Lozère contre 23 dans l’Essonne. Oui, des écoles ferment en campagne, mais celles qui restent ouvertes ont un meilleur taux d’encadrement, et les résultats scolaires des ruraux sont tout aussi bons que ceux des urbains. La différence se fait après le CM2. Les élèves ruraux ont tendance à faire des choix d’orientation plus courts et techniques, en partie parce qu’il y a plus d’emplois ouvriers à la campagne, mais aussi parce qu’on n’a pas cessé de leur dire que tout se passait en métropole. Ils finissent par se dire que les études, ce n’est pas pour eux.

 

On persiste souvent à penser que les campagnes sont en déclin. Comment lever ces freins psychologiques, à savoir un certain mépris d’un côté et un sentiment d’abandon de l’autre ?

C’est difficile de répondre. Je constate juste que le discours optimiste est de plus en plus audible. Surtout, le changement peut venir des néoruraux: ils n’ont pas les barrières mentales des ruraux classiques et en donnent la preuve en développant des projets. Ensuite, il y a un combat à mener contre certains discours des décideurs: non, tout ne se passe pas dans les grandes villes. Bien sûr qu’on a besoin des métropoles, mais si on mise tout sur des métropoles coupées de leurs territoires, on va droit dans le mur.

Qui sont ces néoruraux ?

Il n’y a pas de profil type, mais ce sont surtout des actifs, notamment des cadres avec un capital social et culturel important. Il y a aussi des retraités et des populations assez pauvres qui viennent tenter leur chance à la campagne, parfois jusqu’à la limite de ce que peut absorber le territoire. À l’inverse, s’il y a trop de cadres, les prix de l’immobilier montent et relègue socialement des habitants historiques. Les néoruraux peuvent complexifier les rapports sociaux dans un sens de gentrification ou de précarisation, et bouleverser l’équilibre local. Je pense qu’on est en train de vivre un rééquilibrage, qui ne sera positif que s’il est lent et accompagné par les pouvoirs publics. C’est bien de vouloir attirer des néoruraux, mais il ne faut pas oublier les populations historiques. 

Comment ajuster alors les politiques publiquesà cette complexité des territoires ruraux ?

Il faut se mettreautour de la table. Ce n’est pas évident, d’abord parce que ce n’est pas dansles habitudes. Je caricature, mais pendant longtemps, être maire, c’étaitrecevoir des subventions de l’État et équiper son territoire. C’était nécessaire,mais aujourd’hui, on a à peu près terminé d’équiper le territoire. Le mairedoit plutôt être un super animateur des territoires, capable de faire dialoguerles gens. L’autre difficulté, c’est l’échelle de décision: la commune est troppetite, le département gère la branche sociale, et la région est trop grande.Donc il faut créer d’autres instances d’échange.

 

Est-ce que l’État pourrait chapoter ces échanges entre acteurs locaux ?

Il a un rôle à jouer pour faire dialoguer les territoires et surtout pour cesser de les mettre en concurrence, notamment avec le système des appels à projet. Le rôle de l’État est de donner de grandes orientations et ensuite de faire confiance aux territoires pour les mettre en œuvre. D’autre part, il faut cesser les politiques catégorielles quine prennent pas en compte la complexité des territoires. Faire un plan pour aider les villes moyennes n’a pas beaucoup de sens pour Annecy par exemple qui est parmi les villes les plus riches de France, de même pour Valence ou Pau. Adapterl es politiques est possible, mais cela demande du temps long, incompatible avec un mandat d’élu. Ces politiques ne gagnent pas des élections: on préfère couper le ruban d’une nouvelle rocade plutôt que de faire un projet de développement sur des années.

 

Ce discours court-termiste n’est-il pas entrain d’évoluer ?

Si. Une nouvelle génération d’élus s’ouvre plus à ces problématiques. Bruno Bernard, le président de la métropole de Lyon, disait par exemple que son ambition n’était pas d’attirer des Stéphanois ou des Roannais à Lyon. Non seulement ces territoires perdraient des habitants, mais les prix de l’immobilier risqueraient de s’envoler à Lyon, ce qui est absurde!Il souhaite que Lyon soit agréable à vivre pour les Lyonnais tout en rayonnant dans la région. Cette génération d’élus a enfin pris conscience qu’on ne gère pas un territoire comme une entreprise avec la volonté de toujours la faire croître. Surtout, ces élus ont compris que la principale richesse des territoires ruraux, ce sont ses habitants. Ils mettent donc en place une myriade d’initiatives pour répondre au plus près aux besoins des populations.

Sur la question de la mobilité, vous soulignez le paradoxe du train: la plupart de ceux qui y sont attachés ne l’utilisent pas, ce qui l’entraîne dans un cercle vicieux de taux de remplissage faible/désinvestissement jusqu’à la fermeture. Le rail est-il indispensable aux territoires ruraux ?

D’un point de vue écologique et symbolique, oui. Si vous enlevez le train, les gens ont le sentiment d’être oubliés. Mais d’un point de vue cynique, non, on n’en a pas besoin. Il est clair que la voiture est plus performante. On a le réseau routier le plus dense d’Europe, ce serait bête de ne pas s’en servir. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter le train, on peut le renforcer entre grandes villes sur des axes très structurants. Mais pour le reste, il faut développer le covoiturage, l’autopartage, etc.

 

La pandémie a-t-elle bouleversé votre analyse datée de 2019 ?

Non, cela vient plutôt la renforcer: les villes payent de plus en plus les inconvénients de leur saturation et croissance trop rapides. La pandémie a renforcé ces aspects négatifs. Toutefois, ce qui pourrait bouleverser la renaissance des campagnes telle que je l’avais imaginée, c’est la crise économique qui va suivre. Les campagnes en sortiront-elles renforcées ou affaiblies? Impossible de le dire. En 2008, les campagnes ont beaucoup souffert de leur manque de diversité économique. En ville, si un gros secteur flanche, un autre pourra prendre en partie le relais. Dans la Creuse,si un gros équipementier ferme et licencie 200 personnes, c’est lacatastrophe. Donc la crise économique peut être dévastatrice pour lescampagnes. Mais il y a un point positif à souligner: les entreprises ruralesont une espérance de vie plus élevée que celles des villes. Disons que j’ai uneinquiétude modérée.

 

Dans votre livre, vous nuanciez la révolution du télétravail pour les campagnes. La Covid-19 a-t-elle changé la donne ?

Je ne pense pas que demain, des dizaines de milliers de Français vont débarquer à la campagne pour faire du télétravail. En revanche, je pense que des solutions mixtes vont se développer. Surtout, le télétravail permet de lever un grand frein: l’emploi du conjoint. Faire venir un ingénieur oui, mais si le conjoint ne trouve pas de travail, il ne viendra pas. Le télétravail peut être une solution.

 

Avec ce contexte pandémique inédit, quel serait l’avenir des campagnes ?

L’avenir, c’est un développement harmonieux entre les territoires, loin de l’obsession de l’attractivité. Les campagnes ont un rôle essentiel pour relever les défis de demain, notamment celui du réchauffement climatique. Les villes vont devenir de moins en moins vivables, et la qualité de vie est en train de devenir plus importante que la carrière. Je dirais que les campagnes ont un avenir peut-être pas radieux, mais très encourageant.

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